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Tribune

Un appel du Haut Conseil culturel franco-allemand (HCCFA)

6.2.2018 Tribune 0 Commentaire


Le Populisme – une menace pour la culture et les valeurs démocratiques 

« Là où l’on brûle un livre, on brûle un homme. » 

Cette citation de Heinrich Heine indique dans une extrême économie de mots le drame passé des écrivains pourchassés et censurés, la violence destructrice des autodafés, des bibliothèques incendiées et détruites dans les guerres. A Strasbourg pendant la guerre franco-prussienne de 1870, à Kassel, où les livres brûlèrent deux fois, en 1933 du fait de la lutte sans merci de la propagande nazi contre les auteurs qui revendiquaient leur liberté de penser, d’écrire, de publier, c’est-à-dire de transmettre et partager leur oeuvre, mais aussi en 1943 du fait des bombardements alliés. Lorsque des livres ou des bibliothèques brûlent, ce ne sont pas seulement les auteurs et leurs éditeurs qui en pâtissent, mais les lecteurs, les citoyens qui perdent à travers eux leur libre accès aux oeuvres de l’esprit et voient leurs droits fondamentaux remis en cause et réduits.

Les populismes anti-démocratiques, un risque pour le temps présent 

C’est le mérite du Börsenverein des deutschen Buchhandels (Syndicat allemand du livre, de l’édition et des libraires), avec la contribution de l’Institut français et celui de la Documenta de Kassel avec la création de Marta Minujin (le Parthénon des livres) de nous interpeler sur le risque que présente le retour des populismes, avec son cortège alarmant de phénomènes d’entrave à la publication, de restriction par l’entremise de la loi ou de décisions gouvernementales des droits et libertés, de contrainte à l’autocensure et même de menaces pour certains auteurs par des mouvements extrémistes qui n’hésitent pas à recourir à la violence. Le risque est de ne pas mesurer ce qui se joue, une lente banalisation des idées véhiculées par ces mouvements et une tentation de résignation. Car ils utilisent les crises et l’instabilité de cette période de transition en mettant des mots sur le ressentiment de populations inquiètes, ou animées par un désir de revanche sociale.

2018, année européenne du patrimoine, une opportunité pour l’initiative franco-allemande 

L’Allemagne et la France ont proposé que 2018 soit l’année européenne du patrimoine au moment où des traces inestimables de civilisations anciennes du Proche-Orient ont été détruites par l’acharnement fanatique des terroristes. Nous nous en félicitons et voyons pour le HCCFA, qui connaîtra l’an prochain son 30ème anniversaire, l’occasion de répondre à l’appel à la responsabilité de H. Heine pour le futur de nos enfants, de nos concitoyens et de l’Europe. Nous voulons ainsi nous adresser à nos deux gouvernements afin de les encourager à prendre l’initiative pour faire de cette année 2018 une mise en perspective vigilante de notre histoire, une année de fondation d’une vraie politique culturelle européenne pour créer cette conscience concrète de ce qui nous est commun et pour vivifier cette affectio societatis, sans laquelle il est impossible de bâtir une société européenne sûre, libre et solidaire. Les créateurs et les savants n’ont jamais pu empêcher les conflits puisque souvent ils en ont été les premières victimes, mais une paix durable ne pourra se maintenir sans leur contribution.

Les nouvelles frontières sont des murs invisibles. 

Michel Foucault écrivait en 1967 : « L’époque actuelle serait plutôt l’époque de l’espace. Nous sommes à l’époque du simultané. Nous sommes à l’époque de la juxtaposition, à l’époque du proche et du lointain, du côte à côte, du dispersé. » Voilà qui peut décrire notre monde globalisé et numérique d’aujourd’hui où grâce au raccourci des distances et du temps, tout événement peut paraître familier quand la proximité, elle, devient plus floue, plus problématique. Ainsi la crise des réfugiés souligne la dislocation de notre espace, devenu incertain par les élargissements et insécurisant par la perméabilité des frontières. Le voisin européen si proche devient une source de danger et le retour des frontières une solution. Le Brexit en témoigne.

Tout commence par l’information et par l’éducation à l’information et à l’utilisation des médias. 

Le dialogue, le débat, et même la controverse sont nécessaires à la démocratie. C’est d’autant plus vrai que le contexte actuel nous rappelle douloureusement que la liberté de la parole et la véracité de l’information sont de plus en plus en danger.

Garantir le pluralisme des médias ainsi qu’un journalisme indépendant et professionnel relève de la responsabilité de nos États. Nous enjoignons nos deux gouvernements à engager une action continue sur ce sujet central et à faire en sorte que des conditions cadres soient adoptées au niveau européen.

Eviter d’être manipulé par des rumeurs ou de fausses informations passe par une éducation civique et historique propre à former une jeunesse consciente de ses choix et responsable. L’élaboration et la mise à disposition de programmes éducatifs communs à l’image d’Educ’ARTE, service pédagogique de la chaîne franco-allemande à destination des enseignants et des élèves pourraient compléter les échanges scolaires et associatifs qui existent déjà.

Donner un contenu politique à la promotion de la diversité. 

La question de la diversité est l’une des plus délicates. L’année prochaine peut être le cadre de plusieurs actions de nature à renforcer l’intégration européenne et la valorisation de notre patrimoine immatériel.

Une action d’envergure sur l’apprentissage de la langue du voisin devrait être engagée afin de faciliter la pratique d’une deuxième langue à côté de l’anglais. France et Allemagne ont des interfaces aux frontières avec des pays dont la richesse culturelle est grande. Pour éviter que la culture n’en vienne à exalter les identités nationales et contribue ainsi à l’extension des populismes, les projets partenariaux qui permettront de mieux connaître et comprendre le patrimoine sous ses différentes formes et comment nous forgeons aussi celui de demain, devraient être encouragés. Le programme Erasmus et la jeune création pourraient être renforcés en ce sens, en particulier dans le spectacle vivant et le cinéma.

Face aux fanatismes et au terrorisme qui prend la religion comme alibi de ses crimes, le HCCFA n’ayant pas de compétence sur le dialogue interreligieux, ne peut qu’insister sur la dimension inter-spirituelle que celui-ci devrait prendre, afin que les philosophies revendiquées et reconnues puissent être associées, dans un cadre laïc ou séculier. L’appartenance religieuse ne peut devenir l’élément unique d’identification d’un individu, sous peine de briser le rapport d’égalité entre citoyens et de refuser a priori toute possibilité d’insertion sociale. Cependant l’immense patrimoine religieux doit aussi être à la portée des Européens, tant l’histoire religieuse de l’Europe a été déterminante pour le monde d’aujourd’hui. Martin Luther en est un témoignage, Gutenberg aussi.

La protection des artistes, écrivains et éditeurs, artisans d’art, cinéastes, et de leurs partenaires passe par un travail intense sur la nouvelle économie culturelle et créative, où les droits, comme le droit d’auteur doivent être pleinement respectés et opérationnels alors que de nouvelles pratiques de création et de diffusion émanant d’écosystèmes en constante évolution se développent. Cela suppose de clarifier le degré de responsabilité des plateformes. La créativité et l‘innovation sont, dans un monde numérique, au coeur des tensions entre la culture et l’économie.

Il n’y aura pas de relance politique de l’Europe sans projet culturel 

Le président de la République Française Emmanuel Macron a déclaré dans son discours d’ouverture de la foire de francfort, qu’il comptait avec Madame la Chancelière Allemande, se battre pour la culture, le livre et pour nos langues. Car il n’y a pas d’Europe sans culture. Si la culture est nécessaire à l’influence européenne dans le monde, c’est parce qu’elle illustre et fonde les valeurs européennes qui rendent vivant le modèle de démocratie qui est le nôtre. Ceux qui veulent le détruire ou le fragiliser s’en prennent toujours à la culture et à ses acteurs. Nous sommes loin du temps où les partisans des extrémismes provenaient quasi-exclusivement des milieux populaires touchés par les mutations industrielles. Aujourd’hui les mouvements radicaux nationalistes se refont une réputation moins sulfureuse pour capter un électorat plus large. Ils s’emparent des thèmes défendus par les autres composantes politiques et les détournent, comme la laïcité en France, le libéralisme ou encore les revendications féministes et LGBT. L’attractivité et le rayonnement de l’Europe proviennent certes de son marché, le plus important encore dans le monde, mais aussi et surtout de sa vision du monde et de son héritage culturel qui l’autorise à prôner après la réconciliation des peuples la conciliation entre les Européens eux-mêmes.

Promouvoir nos droits et libertés, et non seulement les défendre, donner un sens positif au « commun » européen, en l’occurrence au patrimoine culturel, est une manière de choisir d’habiter cet espace multidimensionnel dont parle Foucault, en regardant lucidement et ensemble le futur pour le faire nôtre. En donnant une dimension nouvelle à notre coopération, Allemagne et France peuvent ré-inspirer l’Europe.

Le HCCFA s’investit dans cette mission. En effet, en s’engageant depuis sa création en 1988 en faveur d’une ligne commune entre les politiques culturelles française et allemande et en se prononçant pour les droits des créateurs culturels, le HCCFA contribue à une consolidation de l’Europe au niveau culturel et au-delà. L’élan dont bénéficie actuellement le partenariat franco-allemand devra être soutenu et exploité au cours des prochains mois, au service de l’Europe. Dans cette optique, le Haut Conseil culturel franco-allemand appelle nos deux gouvernements :

  • à modeler le marché unique numérique de l’Union européenne dans le sens des industries culturelles et créatives.
  • à s’engager en faveur d’espaces de dialogue franco-allemand, à renouveler les mandats des institutions existantes et à intégrer celles-ci dans les processus politiques.
  • à donner la priorité et les moyens nécessaires à l’éducation culturelle, condition essentielle à la capacité d’action en France et en Allemagne, comme modèle pour les états européens.

Les membres du Haut Conseil culturel franco-allemand 

    • Catherine Trautmann, Coprésidente française ; Vice-présidente de Strasbourg Eurométropole, ancienne ministre de la culture, ancienne députée européenne, ancienne maire de Strasbourg
    • Thomas Ostermeier, Coprésident allemand ; Directeur artistique de la Schaubühne am Lehniner Platz
    • Bruno Boutleux, Directeur général de l’Adami
    • Véronique Cayla, Présidente du directoire d’Arte France
    • Florian Drücke, Directeur général du Bundesverband Musikindustrie e.V.
    • Werner Lohmann, Président d’honneur du Landesmusikrat NRW, ancien recteur de la Hochschule für Musik und Tanz
    • Laurent Muhleisen, Traducteur, Directeur artistique de la Maison Antoine Vitez, Conseiller littéraire de la Comédie-Française
    • Vincent Monadé, Président du Centre national du livre (CNL)
    • Bénédicte Savoy, Professeure d’histoire de l’art à la Technische Universität Berlin
    • Stephanie Thiersch, Directrice artistique de la compagnie MOUVOIR e.V.
    • Doris Pack, Secrétaire générale allemande ; Présidente de la Fondation pour la coopération culturelle franco-allemande, ancienne députée européenne
    • Catherine Robinet, Secrétaire générale française ; Consule Générale de France en Sarre

Octobre 2017 57ème session plénière du Haut Conseil culturel franco-allemand


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