Achives A propos...
…à propos de « migrants » et du poids des mots
Les Français classent parmi les « migrants » jusques aux malheureux repêchés en Méditerranée et, plus généralement, toute la somme des individus qui quittent leurs pays en quête d’un autre avenir. « Migrants » est une abstraction, une catégorie du langage des démographes. La réalité que recouvre ce terme d’analystes scientifique est multiple : un poids lourd parmi les « migrants » qui immigrent en France est le nombre des étudiants et des professionnels « expats » qui restent 6 à 12 mois ou trois ans, ou un peu plus, mais qui repartent. Sur les 200 000 migrants immigrés en France seul 12 000 étaient concernés l’an dernier par le regroupement familial. Le solde migratoire français est souvent positif, mais d’à peine un peu plus que les 10 % du total des visas délivrés. Bien sûr ily a aussi le chiffre noir des clandestins.
Toujours est-il que le mot « migrant » masque les réalités sociales, politiques, économiques, mais également professionnelles et estudiantines qui composent cette catégorie abstraite.
Quelque Français épris de concret différencient « migrants » de « réfugiés ». La majorité des politiques ne font pas dans la nuance et ont ouvert des brèches plus ou moins béantes par où se déverse le flot des refus, mépris, injures, ostracismes, racismes…
Appeler un chat un chat
Que dit la politique officielle allemande des fameux « migrants » qui ont débarqué sur les côtes européennes en Méditerranée méridionale ou orientale (et continuent à risquer leur vie pour une traversée plus qu’hasardeuse) : elle ne parle pas de « migrants » ni de « réfugiés » mais de « Flüchtlinge« . Ce sont les « fugitifs » ou « fuyards » ! Ce sont tous ceux qui échappent à une mort plus ou moins certaine qui sont soigneusement distingués des « Einwanderer » (immigrants ») qui veulent simplement échapper à la misère et dont la mort éventuelle est plus hypothétique,… mais pour beaucoup d’entre eux hautement probable : faim, perte de tout logement, maladie, ségrégation aussi.
S’il est moralement scandaleux de distinguer les « fugitifs de guerre » des « fugitifs économiques » et de plus en plus souvent « climatiques », il n’en reste pas moins que la politique allemande est guidée par son « Grundgesetz » (dont la Chancelière Merkel avait fait remarque au Président Obama qu’elle leur avait été imposée par les Alliés au lendemain la guerre pour bloquer le retour des Allemands à la tentation de la barbarie). Et ce Grundgesetz stipule que l’on ouvre la porte à ceux qui fuient les bombes, les balles, les ruines et la famine de la guerre. Tous les pays – occidentaux en tout cas – avaient signé la convention de Genève. Pour les Allemands le devoir de la « Willkommenskultur » (littéralement : la culture de la bienvenue) est inscrit dans la constitution (tout comme elle l’était en France, dans les préliminaires de la Constitution de 1946).
Mais au delà de ce devoir sacré, le Protestantisme a une vertu irremplaçable : appeler un chat un chat. La Chancelière et la majorité des Allemands (… pour combien de temps encore ?) sont attachés aux mots qui recouvrent une réalité concrète, cernable, identifiable, définissable.
Le partage de la réalité par la force imagée du verbe
Ainsi, quand on prononce le mot « fugitif« , on a immédiatement la vision – de nature quasiment physique – des colonnes de fugitifs des exodes européens de la guerre et de l’après-guerre. Les Allemands ont accueilli (parfois, voire souvent, contre leur plein gré) 12 millions de « fugitifs entre 1945 et 1952. Tous les Allemands de toute génération ont ou ont eu un contact plus ou moins lointain de cette tragédie et l’ont vécu de près ou par procuration.
Ces bases de fugitifs ont été suivies par celles des autres Allemands et nombreux autres Européens de l’Est qui ont fui l’horreur pseudo-douce des états-camps qu’étaient les régimes soi disant « socialistes », en réalité exploiteurs, nationalistes et policiers au profit de petits groupes de privilégiés… pas mieux qu’à l’ouest, mais avec beaucoup plus de privations de droits et conforts fondamentaux. On les appelait « Flüchtlinge » ces gens qui bravaient les barbelés et osaient quitter le « paradis » socialiste. Pensons aussi aux Russes, Roumains, Polonais, etc… de « culture germanique » qui avaient droit à revendiquer une nationalité allemande (qu’ils n’avaient généralement pas perdue aux yeux des pays où ils avaient créé leurs colonies villageoises et urbaines depuis plusieurs siècles). Puis sont venus des Allemands de l’Est de la fin des années 80, parents et amis directs de ceux qui défilent aujourd’hui dans les rues de Dresde et injurient la Chancelière Merkel.
Raison de plus de voir dans ces millions de « migrants » qui quittent le proche ou le plus lointain Orient, la corne de l’Afrique, le Mali (et tant d’autres lieux de conflits) des malheureux qui fuient la mort et qu’il est de notre devoir d’accueillir.
Accusations mensongères
La prise de responsabilité Chancelière Merkel a été dénoncée par la conspiration des Orban, Kaczyński et Duda, amateurs du Brexit et autres sorties de l’Europe, Le Pen, etc (Trump inclus)… demain Sarkozy et ses Gaulois ? On a parlé de « chemin solitaire », de « décision personnelle » et « arbitraire ». Mais elle n’a fait que prendre au pied de la lettre un mot concret et clair – « fugitifs » – à qui la morale chrétienne (nos « racines ») et la constitution allemande enjoint d’ouvrir grandes nos portes.
Au moment où en France et en Allemagne on défile dans les rues pour refuser l’ouverture d’un foyer d’accueil, voire en l’incendiant, tous ceux qui sont conscients des vraies « racines chrétiennes » de nos sociétés sécularisées, à savoir une morale universelle de générosité, devraient faire barrage,… à commencer en utilisant les mots justes et précis – FUGITIFS -pour décrire le malheur de ceux qui tentent de survivre en fuyant des foyers de guerre parmi les plus atroces de l’histoire humaine.
Pour en savoir plus
- Téléchargez l ‘éditorial de Jerôme Vaillant, La crise des réfugiés bouscule le paysage politique en Allemagne dans N° 217 de Juillet-Septembre 2016 de revue « Allemagne d’aujourd’hui » consacré au rapport de l’Allemagne à l’Afrique, hier et aujourd’hui.
- Téléchargez l’analyse de Brigitte Lestrade dans sa Chronique du même N° d’Allemagne d’aujourd’hui (à propos de cette revue remarquable et des chroniques de notre vice-présidente Brigitte Lestrade, voir la page sur notre site)
- voir un diaporama de ZDF-Info qui relate schématiquement le rapport lointain et plus proche des Allemands avec les migrations
- Téléchargez le dossier Wikipedia « Conventions de Genève«
- Téléchargez sur ce site du Bundestag le texte de la Loi fondamentale allemande (la Constitution de la République fédérale) : page 26 Article 16a : Droit d’asile : Les persécutés politiques jouissent du droit d’asile.
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Lire l’article du Monde Angela Merkel lie son avenir à l’intégration des réfugiés
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