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Achives A propos...

…à pro­pos de « mi­grants » et du poids des mots

9.10.2016 Achives A propos... 0 Commentaire
Operation Triton de sauvetage en mer des fugitifs / Photo Wikimedia Commons Irish Defence Forces.

Les Fran­çais clas­sent par­mi les « mi­grants » jus­ques aux mal­heureux re­pê­chés en Mé­di­terr­anée et, plus gé­né­ra­le­ment, toute la somme des in­di­vi­dus qui quit­tent leurs pays en quête d’un au­tre ave­nir. « Mi­grants » est une abs­trac­tion, une ca­té­go­rie du lan­gage des dé­mo­gra­phes. La réa­li­té que re­cou­vre ce terme d’ana­lys­tes scien­ti­fi­que est mul­ti­ple : un poids lourd par­mi les « mi­grants » qui im­mi­grent en France est le nom­bre des étu­diants et des pro­fes­sion­nels « ex­pats » qui res­tent 6 à 12 mois ou trois ans, ou un peu plus, mais qui re­par­tent. Sur les 200 000 mi­grants im­mi­grés en France seul 12 000 étaient con­cer­nés l’an der­nier par le re­grou­pe­ment fa­mi­lial. Le solde mi­gra­toire fran­çais est sou­vent po­si­tif, mais d’à peine un peu plus que les 10 % du to­tal des vi­sas dé­li­vrés. Bien sûr ily a aus­si le chif­fre noir des clan­des­tins.

Tou­jours est-il que le mot « mi­grant » mas­que les réa­li­tés so­cia­les, po­li­ti­ques, éco­no­mi­ques, mais éga­le­ment pro­fes­sion­nel­les et es­tu­dian­ti­nes qui com­po­sent cette ca­té­go­rie abs­traite.

Quel­que Fran­çais épris de con­cret dif­fé­ren­cient « mi­grants » de « ré­fu­giés ». La ma­jo­ri­té des po­li­ti­ques ne font pas dans la nuance et ont ou­vert des brè­ches plus ou moins bé­an­tes par où se dé­verse le flot des re­fus, mé­pris, in­ju­res, os­tra­cis­mes, ra­cis­mes…

Appeler un chat un chat

Que dit la po­li­ti­que of­fi­cielle al­le­mande des fa­meux « mi­grants » qui ont dé­bar­qué sur les cô­tes eu­ro­péen­nes en Mé­di­ter­ran­ée mé­ri­dio­nale ou orien­tale (et con­ti­nuent à ris­quer leur vie pour une tra­ver­sée plus qu’ha­sar­deuse) : elle ne parle pas de « mi­grants » ni de « ré­fu­giés » mais de « Flüchtlinge« . Ce sont les « fu­gi­tifs » ou « fuyards » ! Ce sont tous ceux qui échap­pent à une mort plus ou moins cer­taine qui sont soi­gneu­se­ment dis­tin­gués des « Ein­wan­de­rer » (im­mi­grants ») qui veu­lent sim­ple­ment échap­per à la mi­sère et dont la mort éven­tuelle est plus hy­po­thé­ti­que,… mais pour beau­coup d’en­tre eux hau­te­ment pro­ba­ble : faim, perte de tout lo­ge­ment, ma­la­die, sé­gré­ga­tion aus­si.

S’il est mo­ra­le­ment scan­da­leux de dis­tin­guer les « fu­gi­tifs de guerre » des « fu­gi­tifs éco­no­mi­ques » et de plus en plus sou­vent « cli­ma­ti­ques », il n’en reste pas moins que la poli­ti­que al­le­mande est gui­dée par son « Grund­ge­setz » (dont la Chan­ce­lière Mer­kel avait fait re­mar­que au Pré­si­dent Oba­ma qu’elle leur avait été im­po­sée par les Al­liés au len­de­main la guerre pour blo­quer le re­tour des Al­le­mands à la ten­ta­tion de la bar­ba­rie). Et ce Grund­gesetz sti­pule que l’on ou­vre la porte à ceux qui fuient les bom­bes, les bal­les, les rui­nes et la fa­mine de la guerre. Tous les pays – oc­ci­den­taux en tout cas – avaient si­gné la con­ven­tion de Ge­nève. Pour les Al­le­mands le de­voir de la « Willko­mmens­kul­tur » (littéralement : la culture de la bienvenue) est ins­crit dans la cons­ti­tu­tion (tout comme elle l’était en France, dans les pré­li­mi­nai­res de la Cons­ti­tu­tion de 1946).

Mais au delà de ce de­voir sa­cré, le Pro­tes­tan­tisme a une ver­tu ir­rem­pla­ça­ble : ap­pe­ler un chat un chat. La Chan­ce­lière et la ma­jo­ri­té des Al­le­mands (… pour com­bien de temps en­core ?) sont at­ta­chés aux mots qui re­cou­vrent une réa­li­té con­crète, cer­na­ble, iden­ti­fia­ble, défi­nis­sa­ble.

Le partage de la réalité par la force imagée du verbe 

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« Les fugitifs » de Honoré Daumier

Ain­si, quand on pro­nonce le mot « fu­gi­tif« , on a im­mé­dia­te­ment la vi­sion – de na­ture quasiment phy­si­que – des co­lon­nes de fu­gi­tifs des exo­des eu­ro­péens de la guerre et de l’après-guerre. Les Al­le­mands ont ac­cueilli (par­fois, voire sou­vent, con­tre leur plein gré) 12 mil­lions de « fu­gi­tifs en­tre 1945 et 1952. Tous les Allemands de toute génération ont ou ont eu un contact plus ou moins lointain de cette tragédie et l’ont vécu de près ou par procuration.

Ces bases de fugitifs ont été suivies par celles des autres Al­le­mands et nombreux au­tres Eu­ro­péens de l’Est qui ont fui l’hor­reur pseudo-douce des états-camps qu’étaient les ré­gi­mes soi di­sant « so­cia­lis­tes », en réa­li­té ex­ploi­teurs, na­tio­na­lis­tes et po­li­ciers au pro­fit de pe­tits grou­pes de pri­vi­lé­giés… pas mieux qu’à l’ouest, mais avec beau­coup plus de pri­va­tions de droits et conforts fon­da­men­taux. On les ap­pe­lait « Flüchtlinge » ces gens qui bra­vaient les bar­be­lés et osaient quit­ter le « pa­ra­dis » socialiste. Pen­sons aus­si aux Rus­ses, Rou­mains, Po­lo­nais, etc… de « culture ger­ma­ni­que » qui avaient droit à re­ven­di­quer une na­tio­na­li­té al­le­mande (qu’ils n’avaient gé­né­ra­le­ment pas per­due aux yeux des pays où ils avaient créé leurs co­lo­nies vil­la­geoi­ses et ur­bai­nes de­puis plu­sieurs siè­cles). Puis sont venus des Allemands de l’Est de la fin des années 80, parents et amis directs de ceux qui défilent aujourd’hui dans les rues de Dresde et injurient la Chancelière Merkel.

Rai­son de plus de voir dans ces mil­lions de « mi­grants » qui quit­tent le pro­che ou le plus loin­tain Orient, la corne de l’Afri­que, le Mali (et tant d’au­tres lieux de con­flits) des mal­heu­reux qui fuient la mort et qu’il est de no­tre de­voir d’ac­cueillir.

Accusations mensongères

La prise de responsabilité Chan­ce­lière Mer­kel a été dénoncée par la cons­pi­ra­tion des Or­ban, Kac­zyński et Duda, ama­teurs du Brexit et autres sorties de l’Europe, Le Pen, etc (Trump inclus)… de­main Sar­ko­zy et ses Gau­lois ? On a par­lé de « che­min so­li­taire », de « dé­ci­sion per­son­nelle » et « ar­bi­traire ». Mais elle n’a fait que pren­dre au pied de la let­tre un mot con­cret et clair – « fu­gi­tifs » – à qui la mo­rale chré­tienne (nos « ra­ci­nes ») et la cons­ti­tu­tion al­le­mande en­joint d’ou­vrir gran­des nos por­tes.

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La culture de l’accueil : la force d’une conviction morale

Au mo­ment où en France et en Al­lema­gne on dé­fi­le dans les rues pour re­fu­ser l’ou­ver­ture d’un foyer d’ac­cueil, voire en l’in­cen­diant, tous ceux qui sont con­scients des vraies « ra­ci­nes chré­tien­nes » de nos sociétés sécularisées, à sa­voir une mo­rale uni­ver­selle de gé­né­rosi­té, de­vraient faire bar­rage,… à com­men­cer en uti­li­sant les mots jus­tes et pré­cis – FUGITIFS -pour dé­crire le mal­heur de ceux qui ten­tent de sur­vi­vre en fuyant des foyers de guerre par­mi les plus atro­ces de l’his­toire hu­maine.


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